Chapitre 3 : Aux portes du désert de sel
Share
Après notre escapade à Sajama, nous avons continué la route à travers la Bolivie. Des jours de bus, ponctués de quelques arrêts, pour descendre presque tout au sud et rejoindre Tupiza : la ville de départ de notre grand périple de cinq jours.
Tupiza, qu’on surnomme le far-west bolivien. Et c’est vrai : entre ses canyons rougeoyants et ses vallées poussiéreuses, tout semble droit sorti d’un film. Nous en avons profité pour faire une balade à cheval, hors du temps, dans des paysages dignes de Bonnie and Clyde. C’était encore un décor différent, inattendu. La Bolivie ne cessait de nous surprendre.

Mais Tupiza n’était qu’une introduction. Le lendemain, l’aventure commençait vraiment.
Nous avions trouvé notre groupe grâce à la communauté Facebook “Les Français en Bolivie”. Cinq jours, quatre nuits. Une épopée en plein cœur du Sud Lípez, jusqu’au mythique Salar d’Uyuni.
Au début, on avait une petite appréhension : voyager avec des inconnus, s’entasser dans une jeep, partager nos journées et nos nuits. Mais très vite, la peur s’est envolée. On a découvert une bande jeune, drôle et sympa. En quelques heures, on riait déjà ensemble comme si on se connaissait depuis longtemps.
Dès les premiers kilomètres, on a compris que ce voyage ne ressemblerait à aucun autre. La route s’ouvrait comme un défilé de paysages irréels : volcans majestueux, lagunes colorées, troupeaux de flamants roses, geysers fumants, plaines infinies. Chaque arrêt était une claque visuelle. Chaque paysage semblait surpasser le précédent.


La Laguna Colorada, d’un rose vif éclatant, fut l’une des plus grandes surprises. Entourée de montagnes, peuplée de centaines de flamants roses, elle semblait irréelle. Nous étions presque seules, dans ce décor suspendu, et une fois encore, l’émotion nous a saisies. Une claque de plus, et pas la dernière.


Un autre souvenir marquant : ce petit village presque désert, au milieu d’un paysage aride. Quelques maisons de terre, une petite tienda, une atmosphère de far west. Nous avons partagé une bière sur le pas d’une porte, comme si le temps s’était arrêté.
Les nuits, elles, avaient leur propre charme. Nous dormions dans des refuges isolés, sans chauffage et avec de l’eau glaciale pour se laver. Chaque soir, on espérait une douche chaude, mais il fallait se faire à l’idée : ça n’arriverait pas. Alors on riait de nos misères, qui avec le recul n’en étaient pas vraiment. C’était même ce qui donnait toute sa saveur à l’aventure. On enfilait toutes nos couches, on s’enfouissait sous les couvertures, et on s’endormait en se disant qu’on ne vivrait jamais ça ailleurs.
Le soir, on se réchauffait autrement : avec un paquet de cartes pour jouer au Président et une bouteille de Singani, l’alcool local. Très vite, c’est devenu notre rituel, notre petite fête quotidienne après les kilomètres de poussière.
Le quatrième jour, nous sommes arrivées aux portes du Salar. Un hôtel entièrement construit en sel nous attendait. Les murs, les lits, les tables : tout était blanc, cristallisé. Pour nous, c’était le grand luxe, même sans eau chaude. C’était aussi notre dernier dîner partagé avec David, notre guide, et avec les autres groupes que nous croisions chaque soir. On sentait déjà la fin approcher.

Mais la soirée n’était pas terminée. Après le repas, tout le monde est allé se coucher, réveil à 3h oblige. Tout le monde sauf nous. Avec Lola, on voulait voir les étoiles. Alors on s’est aventurées dehors, dans le noir complet, à travers ce qui ressemblait à un champ désert… qui s’est révélé être un champ de pommes de terre.
Le ciel était fabuleux : des milliers d’étoiles, des constellations, des étoiles filantes à n’en plus finir. On murmurait des vœux en silence, émerveillées. Mais la magie a vite pris une tournure inattendue. En voulant retrouver notre refuge, on s’est encore perdues. Et soudain, un énorme chien est apparu, aboyant furieusement, décidé à nous chasser. On a couru dans la nuit noire, nos cris résonnant dans l’immensité, jusqu’à retrouver enfin notre hôtel de sel. Essoufflées, mortes de rire, mais indemnes.
Le lendemain, à 3h30, le réveil a sonné. Nous avons pris place dans la jeep et foncé vers l’île Incahuasi, au cœur du Salar. Arrivées les premières, emmitouflées dans nos doudounes, nous avons attendu dans le froid. L’île, recouverte de cactus immenses, se découpait au milieu de l’étendue blanche.
Et puis, peu à peu, le ciel a changé. L’horizon s’est teinté de rouge, de rose, puis d’orange flamboyant. Le soleil s’est levé sur la mer de sel, et une fois encore, on en a pris plein les yeux. Le froid s’effaçait, il ne restait que la beauté du moment. Les larmes nous sont montées aux yeux. On se tenait là, côte à côte, émues et reconnaissantes. Heureuses de vivre ça toutes les deux, au bout du monde. Le plus beau lever de soleil de notre vie.
La vérité, c’est qu’on a failli tout louper.
Retour en arrière. La veille, à 3h30, la sonnerie avait retenti dans notre chambre commune. À 3h50, les trois groupes étaient prêts à partir. Tous, sauf… nos guides. Après de longues minutes d’attente, Lenaïc, notre camarade de voyage, est allé vérifier. Son verdict était clair : ils avaient pris une sacrée cuite la veille. Au point que le sol en sel de leur chambre en gardait des traces pas très glorieuses. On a dû les secouer pour les réveiller.
C’est là que David, notre guide, a fait son entrée héroïque. Il s’est levé d’un bond, a rempli ses joues de feuilles de coca jusqu’à ressembler à un hamster — une habitude bolivienne bien connue — et a sauté au volant. À 150 km/h sur le désert, il nous a conduits à toute allure vers Incahuasi. Résultat : nous sommes arrivés les premiers.



La suite de la journée nous a comblées. Marcher au milieu de ce désert de sel, observer les jeux de lumière, conduire la jeep nous-mêmes quelques minutes… Chaque instant était unique. Nous avions atteint notre Graal.
Puis il a fallu dire au revoir. Nous avons rejoint Uyuni, terminus de ce périple. Là, dans le terminal de bus, nous avons attendu des heures avant de repartir vers La Paz. Le temps de revoir nos photos, de réaliser ce que nous venions de vivre, et de comprendre que certaines aventures ne nous quittent jamais vraiment.
✨ Cinq jours, un désert de sel, et l’évidence que les meilleures anecdotes naissent toujours des imprévus.