Chapitre 2 : Perdues à la frontière de la Bolivie

Chapitre 2 : Perdues à la frontière de la Bolivie

La suite de l’aventure est là !

La nuit à Sajama avait été glaciale. Malgré les dix couches de couvertures, les bonnets vissés sur nos têtes et nos chaussettes encore humides de la veille, le froid nous avait réveillées plusieurs fois. Mais l’épuisement du voyage avait fini par l’emporter : on s’est endormies, blotties l’une contre l’autre, comme deux enfants fatiguées par une trop longue journée.

Au petit matin, le réveil fut rude. L’air coupait la peau, chaque geste était une petite épreuve. Mais l’excitation prenait le dessus : une longue randonnée de plus de 23 km nous attendait, face au Mont Sajama, point culminant de la Bolivie.

Il n’était même pas 6h, et déjà Mario et Anna — nos hôtes adorables — s’activaient dans la cuisine. Sur la table, un petit-déjeuner simple mais précieux : du pain chaud, un peu de confiture… et surtout, un thé à la coca brûlant. Le goût n’était pas fou, mais il réchauffait nos corps et apaisait le mal d’altitude, car Sajama est déjà perché à plus de 4 000 mètres.

Un “taxi” est venu nous chercher. En réalité, sûrement un ami de Mario. La route cahoteuse s’est déroulée devant nous comme une scène de cinéma : rien autour, juste l’immensité. Des volcans qui se dessinaient dans le ciel, des troupeaux de lamas en liberté, et ce silence si grand qu’on avait presque peur de le briser. On n’avait pas encore posé un pied sur le sentier que déjà, on avait l’impression d’être au bout du monde.

À peine descendues de la voiture, le spectacle était déjà saisissant : des geysers sifflaient au milieu du plateau. Des nuages de vapeur jaillissaient de la terre, offrant une chaleur inattendue dans ce froid mordant. On aurait aimé s’y attarder, mais il était à peine 7h, le ciel était d’un bleu éclatant, et l’appel de la randonnée était trop fort.

Alors on est parties.

Le chemin commençait doucement, à travers de grandes plaines. C’était facile. On riait, on enlevait déjà quelques couches tant le soleil réchauffait vite. Puis le terrain s’est durci. Les pentes se sont faites plus raides, nos respirations plus courtes. L’effort était intense, mais récompensé. Et soudain, au détour d’une montée, le premier spectacle : une lagune perchée à plus de 5 000 mètres.

L’eau scintillait comme un miroir entre les volcans. Le silence était absolu, à peine troublé par le vent. On s’est regardées, les larmes aux yeux. Et comme pour ajouter à cette émotion, la neige a commencé à tomber. Quelques heures plus tôt, nous étions en tee-shirt. Désormais, doudounes remontées, bonnets serrés, nous avancions dans une autre saison.

Portées par l’excitation, on a continué à avancer. Trop, sans doute. Car bientôt, un détail a troublé notre insouciance : plus de petits tas de pierres. Ces cairns, discrets, étaient censés baliser notre chemin. Mais là, rien. On s’est arrêtées. On a scruté l’horizon. On a cherché. Rien.

On avait perdu la trace.

Au début, on a ri : “Pas grave, on va retrouver !” Puis, au bout d’une heure à marcher, l’euphorie est tombée. Devant nous, un panneau est apparu : FRONTIÈRE AVEC LE CHILI.

Silence. Le tonnerre a grondé, comme pour ponctuer ce moment. Et soudain, tout s’est resserré : le froid, la fatigue, les quinze kilomètres déjà derrière nous. Pas de guide. Pas de carte. Juste nous deux, perdues dans l’immensité.

Il a fallu rebrousser chemin. Revenir sur nos pas. Compter nos pas, surveiller nos respirations, avaler les kilomètres. Quand enfin on a retrouvé le point de départ, on avait parcouru près de 25 km. Éreintées, trempées, affamées… mais soulagées.

Le soir, de retour dans la petite maison de Mario et Anna, on s’est réchauffées autour d’un dîner simple, dans le salon commun. Quelques autres voyageurs — presque tous européens, beaucoup de Français — partageaient la table. On a raconté notre mésaventure, mimant nos détours, exagérant nos frayeurs. Toute la pièce a éclaté de rire. On était passées pour deux vraies débutantes. Mais c’était bon enfant. Et au fond, ça faisait du bien.

Cette première randonnée restera gravée : autant pour ses paysages sublimes que pour la leçon qu’elle nous a donnée. On avait sous-estimé la montagne. On s’était surestimées aussi. Mais on avait appris.

Ce soir-là, une certitude s’est imposée :
la prochaine fois, Maps.me serait notre meilleur compagnon.

Deux Françaises, vingt-cinq kilomètres, et une frontière pour le souvenir.

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